Après un décevant Quantum of Solace, Daniel Craig reprend du service pour ce troisième épisode de la franchise James Bond « rebooté » avec Casino Royale en 2006. Quatre années ont été nécessaires pour mettre sur pied ce projet qui avait été sérieusement compromis en 2010 lorsque la MGM rencontrait d'importantes difficultés financières. Mais James Bond, semble-t-il, n'est pas près de capituler face à la crise. Et le voilà de retour sur nos écrans, Sam Mendes à la réalisation, pour le plus grand plaisir des admirateurs de Bond. Daniel Craig saura-t-il faire oublier le précédent épisode et renouer avec le succès de Casino Royale ?
Première nouveauté et non des moindres, les scénaristes de Skyfall ont décidé, pour une fois, de se conformer un peu plus à la réalité des services secrets actuels dans laquelle les agents de terrain ont certainement beaucoup moins d'influence que les renseignements et où l'ennemi est souvent réduit à une ombre qu'il faut débusquer, opérant à distance par ordinateur. C'est dans ce contexte plus réaliste que James Bond, ici volontairement « old school » dans un monde qui a évolué plus rapidement que lui, doit faire face à un cyber-terroriste qui semble vouloir s'en prendre au MI6 et à sa supérieure hiérarchique M. Judi Dench reprend son rôle de patronne du MI6 avec une différence notable, cette fois-ci, elle est plus que jamais un personnage à part entière, lié au scénario et à Bond lui-même dans des proportions que l'on imaginait pas. Véritablement le premier rôle féminin de cet opus, traditionnellement accordée à l'une des sculpturales James Bond Girl, M nourrit une relation très maternelle avec James Bond. Déroutante au premier abord, cette relation, pleine de subtilités, qui relie les deux personnages, couplée aux faiblesses physiques et psychologiques de Bond singulièrement mises en évidence tout au long du film, nous offre ici un James bond inédit malgré les 23 films et 6 interprètes différents qui l'ont incarné. Ce héros là semble terriblement humain et nettement plus fragile que ses prédécesseurs bien qu'il conserve, heureusement, toutes les qualités propres au personnage créée par Fleming. L'intrigue nous mènera d’ailleurs pour la première fois sur les traces du passé tragique de Bond en Écosse.
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Respectueuse de la série dans son ensemble, l'histoire fait appel encore une fois aux mêmes ficelles qui fonctionnent depuis désormais cinquante ans. James Bond Girls séduites en un regard et quelques phrases (bien qu'ici leur rôle dans l'intrigue soit considérablement amoindrie par rapport aux autres épisodes), Aston Martin rugissante, gadgets, escapades dans plusieurs pays, on retrouve avec plaisir tous les ingrédients qui ont fait le succès de la saga. Soucieuse de « marquer le coup », l'équipe du film profite du cinquantième anniversaire de l'espion britannique pour multiplier les hommages, clins d'oeil appuyés et références, souvent avec beaucoup d'humour, comme si un millésime de ce qui se fait de mieux dans les James Bond s'imposait. Ce côté comique que l'on avait quelque peu perdu depuis l'arrivée de Craig en 2006 est ici passablement retrouvé, les répliques de Bond, pleines d'ironie agrémentent les dialogues d'une pointe d'humour particulièrement agréable. L’ingéniosité du scénario est telle que le côté sombre des précédents épisodes, que l'on retrouve ici encore, n'est pas un seul instant altéré par ces incursions de légèreté savamment distillées par les scénaristes, ces deux aspects du personnage cohabitent à merveille, certainement pour la première fois depuis les premiers James Bond avec Sean Connery.
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Avec Sam Mendes à la réalisation, cinéaste respecté à Hollywood, les attentes concernant ce nouvel opus se sont accrus à l'approche de la sortie du film. Trop conscient de son statut de réalisateur-star en comparaison avec les cinéastes moins connus qui ont participé à l'aventure James Bond, Mendes avait l'ambition de ne pas laisser son œuvre passer inaperçue parmi les nombreuses apparitions de Bond sur grand écran. De par quelques éléments scénaristiques forts, dont certains ont été présenté plus haut, il se démarque considérablement des films précédents, introduit (ou ré-introduit) de nouveaux personnages (Q en étant le meilleur exemple). Peut-être plus que jamais, Mendes affirme sa différence et son point de vue dans une franchise ultra-stéréotypé et attire ainsi l'attention sur son œuvre. Quelques partis pris auraient pu se révéler risqués mais c'est finalement avec beaucoup de soulagement que l'on a enfin l'impression de voir quelque chose d'un peu nouveau dans une série qui doit constamment prendre garde à ne jamais se marginaliser pour ne pas décevoir ses fans. Et c'est certainement là le point fort de Skyfall. Le meilleur de James Bond, ajouté à une certaine fraîcheur scénaristique.
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La maîtrise. Voilà un mot-clé qui pourrait résumer tout ce qu'il y a à dire sur la réalisation quasi-parfaite de Sam Mendes. On connaissait le talent indéniable du metteur en scène, mais réaliser un James Bond est un exercice différent, et bien plus délicat que l'on pourrait le croire, dans lequel l'auteur du formidable American Beauty (1999) n'était pas, à priori, le candidat idéal. Et pourtant, la mise en scène nous happe dès les premières secondes dans une course-poursuite haletante (bien que moins impressionnante que celle qui amorçait Casino Royale) et nous sommes partis pour deux heures et demi de plaisir, ce qui est plus long que pour les autres films de la franchise. A aucun moment, on ne se lasse de suivre Bond à travers ses pérégrinations en Angleterre, Ecosse ou Asie ; la mise en scène maîtrisée prévient tout risque de décrocher et il n'y a que très peu de longueurs que l'on puisse déplorer. C'est un sans faute pour Mendes qui réalise un film réussi et abouti comme peu d'autres metteurs en scène aurait pu le faire.
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Lentement mais sûrement, Daniel Craig est en train de devenir le seul et l'unique incarnation du James Bond moderne. Hormis quelques nostalgiques du pionnier Sean Connery, beaucoup s'accordent aujourd'hui à dire que Craig est l'allégorie parfaite du plus célèbre espion du cinéma. Campant un Bond plus faillible mais aussi plus humain, Craig et son charisme crèvent l'écran. Plein de classe et de cynisme comme le veut traditionnellement son personnage. Il est ici rejoint par Javier Bardem, qui accède aisément au panthéon des meilleurs « méchants » de la saga au côté de Goldfinger ou Max Zorin. Certainement aussi amoché physiquement et psychologiquement que le Joker de The Dark Knight (l'une des influences officiellement avouées par Mendes), Raoul Silva est incontestablement un rôle sur mesure pour Bardem qui excelle décidément dans l'interprétation des psychopathes aux coupes de cheveux ridicules (voir No country for old men des frères Coen). Comme mentionné plus haut, la place accordée à Judi Dench dans l'intrigue éclipse significativement les autres actrices que sont Bérénice Marlohe et Naomie Harris, cantonnées à de simples petits rôles pas très étoffés. Dench assure convenablement ce rôle de dirigeante impassible et intransigeante qu'elle esquissait déjà au cours des précédents épisodes. On notera aussi la performance pleine de légèreté du jeune Ben Wishaw, nouveau Q du MI6, bien loin de Desmond Llewelyn qui a inauguré ce rôle dans Bons baisers de Russie en 1963 ainsi que l’apparition de Mallory interprété par Ralph Fiennes, qui, selon toute logique, devrait être de retour dans les prochains épisodes.
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Bluffant ! Le générique d'introduction, impeccablement conçu, laissait d'ores et déjà présager une direction artistique tout à fait exceptionnelle. De mémoire de cinéphile, jamais un James Bond n'aura été aussi abouti sur le plan esthétique et visuel. Chaque plan est un pur régal. Rien que pour nos yeux, le réalisateur et son équipe artistique ont travaillé chacune des images que nous voyons à l'écran avec beaucoup de talent et de sérieux. Certains scènes sont tout simplement sublimes visuellement. On pensera notamment à la scène d'arrivée à Macao de Bond sur une sorte de radeau (subtile référence à L'homme au pistolet d'or dont l'intrigue se déroule au même endroit ?), puis, à sa filature d'un tueur ennemi au beau milieu d'un labyrinthe de verre kaléidoscopique, ou encore, dans l'une des dernières scènes du film, à ces quelques plans somptueux d'un Javier Bardem hagard, déambulant tel une ombre dans la campagne écossaise illuminée par les flammes d'un manoir incendié. Ces quelques exemples ne sont que les arguments les plus frappants susceptible d'illustrer mes propos mais l'ensemble du film est à admirer sur l'aspect plastique. Bien sûr, explosions et autres cascades sont au rendez-vous comme prévu, peut-être même avec une certaine surenchère au cours de la séquence finale qui n'était pas forcément nécessaire. En bref, plus encore que par son scénario intelligent ou ses acteurs talentueux, Skyfall nous séduit indubitablement par sa réalisation au top, autant sur le plan technique qu'esthétique.
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Le scénario accomplit la prouesse étonnante de se conformer aux exigences de la saga tout en se démarquant, parfois profondément, des autres films de la série. Ici, Bond n'est plus vraiment l'espion infaillible qu'il était autrefois. Physiquement diminué après avoir échappé miraculeusement à la mort, ses compétences sont contestées et son utilité au sein des services secrets britanniques l'est encore davantage à l'heure où les agents de terrain ne servent qu'à « appuyer sur la détente », dixit Q. Sans être forcément extraordinaire, les possibilités étant limités pour un James Bond, le scénario est très certainement un ton au-dessus des précédents épisodes.
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Inévitablement accompagné des thèmes récurrents de la série, Skyfall s'en sort remarquablement bien en ce qui concerne la bande sonore. On aura même le plaisir de retrouver le mythique « James Bond Theme » de John Barry lorsque Bond se décidera à sortir son Aston Martin, énième référence aux épisodes passés. Pour couronner le tout, Adele interprète ce qui restera très certainement comme un des plus grands thème d'introduction de toute la saga James Bond, pourtant déjà riche en musiques de qualité. Difficile de rajouter quelque chose dans ce chapitre « Bande sonore » si ce n'est que Thomas Newman remplace David Arnold (compositeur attitré des James Bond depuis Demain ne meurt jamais) avec un certain savoir-faire. Les musique dites « d'action » sont efficaces et accompagnent agréablement les cascades présentes à l'écran même si aucun thème original particulièrement réussi ne vient concurrencer les musiques déjà utilisées des dizaines de fois dans la série. Mais cela aurait été trop gourmand d'espérer beaucoup plus sur le plan sonore que ce qui se fait habituellement dans chaque film de la franchise.
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17/20
Parmi les 23 James Bond « officiels », Skyfall fait incontestablement partie des meilleurs, certainement LE meilleur, bien qu'il faille s'accorder un peu de temps et de recul pour juger pleinement des qualités de cet épisode. Plus qu'un simple James Bond, Sam Mendes nous offre ici un grand moment de cinéma. Rarement un film d'action n'aura su associer une telle qualité dans la mise en scène, un scénario aussi abouti et des acteurs aussi charismatiques. Le poids de la comparaison s'annonce éprouvant pour les épisodes à venir bien que la réussite de cette œuvre n'augure que du bon pour la suite. Skyfall est donc incontestablement le GRAND James Bond que l'on attendait plus.
Publiée le 04 novembre 2012 à 02:02:23 par Kevin Sigayret
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